Compte-rendu des visites

le 22 mai 2016

Visite au domaine de Portecluse avec Guillaume

La visite s’est faite au Domaine de Portecluse sur les flancs de la colline du Dragon, à côté de Campagne-sur-Arize, à 30 km à l’ouest de Pamiers en Ariège. Ce domaine de 80 ha, appartenant à la Fondation Terre de liens, a une double vocation agricole (polyculture-élevage en biodynamie) et éducative (école à pédagogie Waldorf sur le Domaine). Pour plus d’info vous pouvez aller ici : https://www.terredeliens.org/portecluse.. C’est un endroit magnifique.

Guillaume a semé sur les terres de ce domaine des variétés de blé et d'engrain (petit épeautre) ; il y fut maraîcher pendant deux ans (avant de se mettre à la boulange) et continue à donner des coups de mains à la traite des vaches le week-end ; à l'école, il donne un petit cours sur la naissance de l'agriculture, sur la culture des céréales et sur la panification. Ce domaine est donc au cœur de son activité.

Nous avons commencé la visite par ses essais sur les blés tendres (froments). L’idée pour Guillaume est d’évaluer le potentiel de différentes variétés dans le cadre de son travail de boulanger. Ce travail s'effectue dans le cadre d’un projet collaboratif de recherche encadré par Réseau Semences Paysannes en partenariat avec l'INRA (auquel participent plusieurs dizaine de paysans en France). Il a donc semé en plein champ, sur un sol riche « limono-argileux » quatre populations de blé tendre (blés à farine), provenant de France et de Suisse. Il a aussi semé quelques blés durs d'Iran (blés à semoule). Une des populations s’appelle la Japhabelle, cette population est issue d'un long travail de sélection sur un mélange d'une vingtaine de variété. Ce travail fut réalisé par Jean-François Berthellot et Isabelle Goldringer (INRA). Jean-François Berthellot (GAEC ferme du ROC) est notre fournisseur de légumes secs. Il est aussi paysan-boulanger, Guillaume prend une partie de sa farine de petit épeautre là-bas. Encore un peu tôt dans la saison, on n’a pas pu apprécier la diversité de couleurs qui ne devrait pas tarder à s'exprimer avec les blés à maturité. Le but de cultiver de telle population est que cette grande diversité génétique à l'intérieur de la population permet une grande adaptabilité future (au bout de quelques années, les plus adaptés seront naturellement plus représentées et vice-versa).

Les blés « anciens » / les blés « modernes » :

- par « moderne », Guillaume entend les variétés sélectionnées par les semenciers (et non plus par les paysans), les 1ers étant la famille Vilmorin à la fin du XIXème siècle. Cette nouvelle profession accompagnait l'industrialisation. Ils ont donc créé à partir de croisements des variétés répondant bien aux engrais, aux terres riches et aux phyto-sanitaires, adaptés pour la meunerie et la boulangerie industrielle.

Et ce sont ces mêmes blés « modernes » qui, sélectionnés pour l'industrie boulangère possède des glutens tenaces et très élastiques, sont aujourd'hui à l'origine de gros problèmes d'intolérances.

Aujourd'hui les blés anciens ne sont pas inscrits au Catalogue Officiel des Variétés, condition pourtant aujourd'hui obligatoire pour avoir le droit de commercialiser des plants ou des semences. Pour être inscrite au catalogue (déjà il faut payer cher) une variété doit satisfaire aux conditions d’homogénéité et de stabilité (une variété morte quoi !) or nous recherchons au contraire de la diversité, clé de l'adaptabilité.

- les blés « modernes » que nous voyons couramment dans les champs sont des variétés croisées avec une variété naine (donc à paille courte) tandis que les blés anciens semés par Guillaume font entre 1.25 à 1.70 mètres de haut. Les blés à longue paille nourrissent le sol si les pailles sont laissées sur place. L'épi étant très éloigné du sol, ceux-ci sont moins sensibles aux attaques de champignons ; l’inconvénient est une sensibilité à la verse (blés couchés par forte pluie et coup de vent) et d’être moins adapté à la moissonneuse-batteuse. Cet inconvénient est relativisé par Guillaume qui trouve les tiges de ses blés plutôt vigoureuses. On dirait en effet des roseaux !

Certains pieds sont un peu jaunes/violets donc malades, la sensibilité à la maladie fait partie des paramètres observés par Guillaume. Avant la récolte, Guillaume fera des bouquets de sélection dont certains seront envoyés à l'INRA pour analyse et Guillaume aura en retour quelques informations notamment la qualité boulangère, le taux de protéines, etc... Il fera aussi une sélection à ressemer cette année et continue le protocole de suivi, observe si les variétés réagissent différemment, etc...

L’après-midi nous allons voir le champ où sont plantées une 10ène de variétés (de Bulgarie, de Gallicie, noir, de Koronai…) d’une céréale ancienne que nous commençons à connaître à l’AMAP, le petit épeautre (également appelé engrain). Toujours dans le même esprit, observer quelles espèces s'en sortent le mieux dans les conditions de terrains et de climats ariègeois. L'engrain met plus de temps à pousser que le blé, il est bien moins productif et doit être décortiqué (*) ; mais étant plus rustique que le blé, il peut s'accommoder de terrain plus rude. La variété témoin des essais sur les engrains n’a pas levé.

(*) cela se ressent donc sur le prix au kilo de la farine : entre 3.5€ et 4€/kg pout le petit épeautre, contre entre 1.5€ et 1.8€/kg pour le blé.

L’année prochaine Guillaume va poursuivre ses essais, continuer ses observations et également faire des tentatives en culture associées (trèfle/blé).

La planche de petit épeautre qu’est allée voir Catherine avec au 1er plan la variété témoin envahit par les renoncules jaunes

A la pause de midi Guillaume nous a donné un rapide aperçu sur l’histoire de l’agriculture. Quelques éléments (date et faits marquants) notés :

- entre 10000 et 6000 AV JC : naissance dans 4 bassins indépendants (Mexique avec le maïs ; Chine avec le riz ; Mésopotamie avec le blé et Nouvelle-Guinée). Là où l'agriculture est née, l'homme était déjà sédentaire, il occupait des terrains abondants en céréales sauvages, légumineuses sauvages et en gibiers. L'agriculture c'est la domestication d'une ou plusieurs espèces sauvages, qu'elle soit animale ou végétale. L'avantage des céréales c'est leur longue conservation.

- La culture sur abattis-brûlis émerge : des forêts facilement pénétrables car outillage rudimentaire (pierre polie) sont abattues, brûlées puis ensemencées. On cultivait deux ans de suite puis une rotation longue (environ 15 ans) était nécessaire pour régénérer la fertilité du sol. Ce mode de culture a été en partie responsable de l'avancée des déserts dans certaines régions.

- A chaque agriculture est associée une organisation sociale ; par exemple sur les berges du Nil on pratique très tôt la culture de crue/décrue. Lorsque ce mode de culture prit de l'ampleur, il a fallu créer une organisation afin de se répartir d'amont en aval les eaux des crues. C'est la création des premières dynasties pharaoniques.

- Ensuite vint la culture irriguée (toujours autour du Nil). Permit de s'affranchir de la variabilité des crues mais imposait plus de travail pour acheminer l'eau jusqu'aux cultures) Régulièrement le royaume organisait de grands travaux pour curer, réparer les canaux d'irrigation.

- La population augmente, le commerce et le stockage des céréales impose une mémoire infaillible, c'est la naissance de l’écriture et des scribes. Ceux-là même seront chargés d’administrer les activités du royaume et d'en rendre compte au pharaon.

- Plus tard viendront de grandes inventions, d'abord l'araire puis la charrue permirent de travailler un sol herbeux et de ne pas se faire concurrencer la culture par les adventices. L'animal sert à la traction et ses déjections renouvellent la fertilité des sols.

- On arrive alors progressivement au modèle de polycuture-élevage du Moyen-Age. Au cours de cette période il y a une intensification de l’agriculture et une explosion de la population.

Les blés à côté des serres du domaine

Observez la taille des blés (et ce n’est pas fini) !

Un beau blé barbu

Visite du fournil en avril 2015

En cette belle journée d’avril Guillaume nous a fait la visite du fournil où il boulange nos pains.

Le fournil

Il est situé à Saint Amans, en Ariège à 10 km au nord-ouest de Pamiers, à environ 20 minutes de chez Jean et Laetitia. Le fournil lui a été prêté gracieusement pendant deux ans par Yannick Estèbe, compagnon boulanger. Guillaume met, maintenant, en place une rétribution pour son ami boulanger à hauteur de 10 centimes par kilo de pain.

Le levain

Guillaume fait du pain 100% au levain c’est-à-dire qu’il n’utilise pas de levure de boulanger. Son levain date d’il y a 5 ans et il le garde précieusement au frais. Il l’emmène même en vacances avec lui.

Mais au fait, qu’est-ce que le levain ? Le levain est de la farine fermentée permettant la levée de la pâte et le développement des arômes du pain. C’est un mélange de farine et d’eau. Il contient à la fois des levures (sauvages) et des bactéries, organismes provenant de l’air et présents naturellement dans la farine. C’est tout ce petit monde vivant qui fait que le levain est un véritable écosystème.

(*) L’appellation « Pain au levain » en Boulangerie classique autorise les boulangers à utiliser de la levure de boulanger en plus du levain. C’est en petite quantité mais les levures ont un fort pouvoir de colonisation, donc c’est très marketing !

Nous avons observé le levain et à l’oeil on voit tout un réseau de filaments : ce sont des protéines (provenant de la farine) qui sous une action mécanique (le pétrissage) se lient entre elles et forme le gluten.

Le levain où l’on aperçoit des filaments de gluten

Tout le travail du boulanger est de rafraîchir correctement son levain car il conditionne la fournée. Un levain raté est souvent synonyme de fournée moyenne voire ratée. C’est par plusieurs « rafraîchis » de son levain puis par un pétrissage, une durée de fermentation et enfin par une cuisson au four que l’on aboutit au final à du pain.

Les rafraîchis du levain

Cela consiste à prélever une petite quantité de levain et à lui ajouter de l’eau et de la farine ce qui a pour conséquence de l’activer. Cette opération est répétée plusieurs fois par Guillaume. La température de l’eau lors des rafraîchis est un paramètre très important. En effet les levures d’une part et les bactéries d’autre part ne s’activent pas aux mêmes températures.

- Maîtrise du volume du pain : ce sont les levures qui influent sur ce paramètre. Elles permettent la fermentation alcoolique qui fait lever le pain. Cette fermentation entraîne un dégagement de CO2 et la formation d’alcool (évaporé lors de la cuisson). Elles s’activent entre 24 et 28°C.

- Maîtrise du goût et de la digestibilité : ce sont les bactéries (aérobies donc qui vivent en milieu oxygéné) qui influent sur ce paramètre. Il y a :

o Les bactéries lactiques qui dégradent l’amidon (un sucre complexe que notre corps ne peut assimiler directement) et le transforme en acide lactique et en sucre plus simple. Elles s’activent de 25 et 28°C.

o Les bactéries hétérofermentatives qui ,elles, transforment l’amidon en sucre plus simple et fabrique de l'acide lactique et de l'acide acétique. Elles s’activent en dessous de 20°C.

Tout l’art du boulanger qui fait du pain au levain est d’activer dans les bonnes proportions et au bon moment ces différents organismes, de trouver un équilibre. Un pain au levain est légèrement acidulé, vous l’avez sans doute remarqué. C’est grâce aux bactéries ! C'est cette acidité qui permet au pain de se conserver plus longtemps.

Guillaume réalise 3 rafraîchis selon le timing suivant :

Le timing des rafraîchissements

Mercredi soir 21h : 1er rafraîchi « liquide et chaud » pour favoriser les bactéries lactiques. A ce stade il a 100 g de levain

Jeudi 1 h du matin : 2ème rafraîchi « dur et frais ». A ce stade il a 1 kg de levain

Jeudi 7h du matin : 3ème rafraîchi « liquide et chaud ». A ce stade il a environ 6 kg de levain qu’il utilise au cours de la journée de 4 façons :

- Nouveau rafraîchi en ajoutant de la farine de petit épeautre

- Nouveau rafraîchi en ajoutant de la farine de seigle

- Fournée de blé

- Nouveau rafraîchi pour la deuxième fournée de blé

Le pétrissage

Vers 11h30, Guillaume commence le pétrissage, à la main dans un magnifique pétrin en bois. Tout comme la température lors du rafraîchi, le pétrissage influe sur la qualité du pain. Par son action mécanique, on fait rentrer de l’air dans la pâte pour favoriser les fermentations et étirer les chaînes de gluten. Certains boulangers pétrissent fort et longtemps (avec pétrin mécanique). Guillaume préfère faire des mouvements doux pour faire rentrer l’air dans la pâte et fait des temps de pause. Il fait attention à ne pas déchirer la pâte.

A la fin du pétrissage (30min) la pâte est lisse. La pâte lève environ 2h en masse, répartie dans des bacs (c'est le pointage). Ensuite, Guillaume détaille la pâte en pâtons de 1,2kg, 900g et 600g car les pains perdent beaucoup d'eau lors de la cuisson. Après quoi, Il les place individuellement dans des bannetons en osier où ils finissent de pousser environ 3h (c'est l’apprêt). En attendant l'enfournement, les pains sont stockés dans une armoire que l'on appelle parisien.

Le pétrin

Le parisien

La cuisson

Vers 17h30, Guillaume enfourne (il y a donc eu 6 heures de fermentation depuis le pétrissage) « vite et bien » pour ne pas créer de différences entre les pains et ne pas refroidir le four. Ainsi, après avoir grigné (scarifié) chaque pain à l’aide d’une lame de rasoir (pour que le pain finisse de pousser dans le four) les pains sont enfourner. La cuisson se fait dans son four à bois à 250 °C pendant 45 minutes à 1 heure. Il peut mettre jusqu’à 80 kg de pain. Le bois provient de chutes d’une scierie. Sur le côté, il peut ajouter de l’eau qui tombe sur la sole chaude en bas du four ce qui provoque une évaporation (une ambiance humide est en effet nécessaire pour avoir une belle croûte dorée et pas trop épaisse). En hiver, Guillaume chauffe le fournil avec le four avant d’attaquer sa fournée car le pain n’aime pas le froid.

Guillaume montre comment il positionne le banneton sur la pelle juste avant d’enfourner (on le retourne sur la pelle, on grigne et on enfourne).


La farine

La farine de blé qu’utilise Guillaume a trois jours. Une farine plus jeune serait un peu trop « fofolle » et plus dure à maîtriser. Il a deux fournisseurs : Yvon Grégoire pour la farine de blé moderne, Nicola Belviso pour le seigle et les blés anciens et le père de sa compagne (qui est paysan-boulanger) Jean François Berthellot pour le petit épeautre. Les pains de blé sont un mélange à proportion égale de blé moderne et ancien. Toutes les farines sont certifiées AB.

Les farines sont moulues sur meule de pierre (comme la farine produite par Jean) : le grain de blé est poncé entre deux meules de pierre. L’enveloppe du grain, le son, est réduit en microparticules ce qui le rend digeste et fait qu’il n’est pas perdu, contrairement aux procédés industriels (comme les moulins à cylindres) qui coupent le grain en morceaux de plus en plus petits et qui écartent le son. La farine qu’il utilise est de la T80 (0.8 % de minéraux dans 100 g de farine).

Guillaume nous a représenté en coupe un grain de blé :

Le sel

Autre ingrédient important : le sel. Guillaume utilise du sel de Guérande labellisé Nature et Progrès provenant de la coopérative « Salines de Guérande ». Le sel ralentit la fermentation mais est utilisé, comme partout, en tant qu'exhausteur de goût. Guillaume utilise 10 à 13 g de sel par kg de pain, ce qui est un minimum, en dessous le pain peut paraître fade.

Grâce à cette visite nous mesurons mieux tout le savoir-faire mise en oeuvre par Guillaume pour la fabrication de nos pains. Un grand merci à toi Guillaume pour cette belle démonstration et d’avoir répondu à nos nombreuses questions !